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09 février 2021

Céline LOUVRIER

[Interview réalisée en 2019]

Tu as été diplômée en 2001. Après presque 10 ans au sein d'un grand groupe industriel français, tu es partie aux Etats-Unis. Pourquoi ce choix ?

En 2001, l'idee de partir etait deja dans la tete... Mais il fallait bien commencer sa carriere et puis le 11 septembre est arrive... Bref, le projet a ete relegue dans un coin. 

Puis mon mari Raphael (promo 2001 comme moi) s'est mis a voyager souvent pour son employeur. Apres plusieurs annees d'aller-retours, nous avons demande la possibilite de nous relocaliser. Le choix a donc ete base sur une recherche d'equilibre travail / famille, mais c'est parce que c'etait les Etats-Unis que c'etait faisable. Il fallait un endroit ou je pouvais continuer de travailler. Le plus difficile a ete de partir de Saint-Gobain, qui est une fantastique entreprise.

 

En quoi la façon de travailler aux Etats-Unis est-elle différente ?

Alors precisons: je suis a Houston, Texas, qui est bien differente de New York ou San Francisco. A savoir que vous etes au sud des Etats-Unis, avec ses cliches retrogrades et en meme temps un dynamisme economique incroyable, mele a une population qui vient surtout d'au-dela des frontieres americaines.

 

Apres autant d'annees hors de France, je ne fais plus l'exercice de comparer les US a la France et vice-versa. Il s'agit plutot de "deposer" son cerveau et ses reflexes francais a l'aeroport, et d'enfiler le "cerveau" americain pour eviter les frustrations et les faux-pas.

Un aspect crucial, est que sans un travail vous n'avez rien, a savoir pas de couverture sante. Et que les horaires ne sont pas limites au Texas. Donc vous avez des gens qui travaillent 60 heures par semaine, font enormement d'heures supplementaires, pour prouver leur valeur aupres de leur employeur et maximiser leur revenu. On est assez loin des equipes de 8 heures maxi, avec temps de repos, etc. Mais un cote tres negatif est que certains de mes collegues sont physiquement epuises, avec une capacite de concentration affaiblie, propice aux accidents et aux erreurs.

La facon de travailler n'a rien a voir avec la France. "The sky is the limit" et "we'll work it out" ["Le ciel est la limite" / "on y arrivera"] sont des letmotivs. L'optimisme permanent est de rigueur, et le pessimisme ou se plaindre y est tres mal vu. Et c'est logique: ayant presque le plein emploi, si vous vous plaignez, vous partez.

Un autre aspect est d'etre a l'heure! Rien de pire que d'etre en retard aux reunions, aux conferences telephoniques. C'est un enorme faux-pas.

Il ne faut pas se leurrer, nous sommes tres differents des americains. En surface nous partageons la pop culture et les nouvelles technologies, mais en profondeur les divergences sont fortes sur la sante, le travail, les armes, l'education, la politique, la religion. Il faut donc faire l'effort de s'adapter, et dans la grande majorite l'accueil est sympathique a condition de "travailler et payer tes impots"!

 

Le taux de femmes ingénieurs dans l'industrie reste encore modeste. Que dirais-tu à une étudiante qui hésite à y faire carrière ?

Je dirais: "Fonce !". Si une etudiante est arrivee a ce niveau d'etudes, la force de caractere est deja demontree. Il faut avoir en tete que, oui, on va entendre des remarques stupides (France et Etats-Unis, meme combat d'ailleurs), qu'il faudra etre prete a y repondre (le sarcasme reste un outil de choix), et qu'il faudra etre meilleure que ses collegues masculins. En contrepartie, l'industrie est un terrain de jeu pour l'esprit ingenieur, et que c'est le meilleur endroit pour voir ses idees techniques voir le jour.